Les francs-hommes sont des alleutiers?

PubliƩ par Arno Bourggraff. PubliƩ dans Francs-hommes

Le point le plus délicat à traiter dans l'étude des francs-hommes est celui de leur origine. Il est certain que le prévôt peut créer des francs-hommes. La coutume de Bastogne s'exprime d'ailleurs ainsi:

«Le prévôt peut nommer francs-hommes des fils de bourgeois de la ville de Bastogne durant la première annie de leur mariage selon une coutume ancienne, mais cette année expirié ils doivent demeurer bourgeois». Le même prévôt a encore la faculté de créer un franc-homme dans chaque village de la prévôte à la condition qu'il ne soit taillable, ni lui, ni sa femme». (51)

Si le prévôt peut créer des francs-hommes, son pouvoir est limité. II ne peut en nommer qu'un par village.

D'autre part, le 2 aoùt 1599, les archiducs déclarent «personne (parmi les francs-hommes) ne devrait jouir de tels privilèges sinon ceux à qui par bénifice du prince ou droict de „naissance iceluy est acquis“. (52) Ceci prouve qu'on acquiert la qualité de franc-homme par privilège du prince ou bien par droit de naissance, comme l'indique la coutume de Bastogne. Ainsi donc il existe deux manières de devenir franc-homme. Nous connaissons la premiere. Nous allons à present nous occuper de la deuxieme.

 Si la classe servile a donné naissance aux ministeriales c'est dans la classe allodiale noble, par contre, qu'il faut chercher l'origine de la plupart des francs-hommes. Ceci nous amène à envisager successivernent l'origine des alleux, leur évolution historique, le statut des alleutiers, les alleutiers luxem- bourgeois et l'identité entre les propriétés des francs-hommes et les alleux.

Comme fief, mais aussi vu sa filiation étymologique beaucoup plus rectiligné, od, «bien», et peut-être al «total», «alleu» était d'origine germanique. On l'a parfois defini: «pleine propriete». Or, un possesseur d'alleu, pour peu qu'il soit lui-même un seigneur, peut fort bien avoir au-dessous de lui, des tenanciers, voire des feudataires, dont les droits de jouissance sur le sol — en pratique, le plus souvent hédéditaires — limitent imper- ieusement le sien. L'alleu, en d'autres termes, n'est pas forcement vers le bas un droit absolu. Mais il l'est vers le haut, «fief du soleil». Tel est le sens du terme «alleu» que nous empruntons à Marc Bloch. (53) Mais le savant auteur ajoute: « toute espece d'immeuble ou de revenu immobilier pouvait jouir de ce privilège quelle que fût la na­ture du bien, depuis la petite exploitation paysanne jusqu'au plus vaste complexe de redevances ou de pouvoirs de commandement, quel que fût le rang social du detenteur. Il y avait donc une anti-these alleu-censive aussi bien qu'alleu-fief». D'ailleurs, dans la loi salique, les alleux sont considérés comme des fonds héréditaires. Les capitulaires de Charlemagne les opposent aux fiefs. Pour les jurisconsultes anciens, alleu et patrimoine sont synonymes. Territorialement l'alleu dépend du comte, mais il échappe, par contre, au lien feodal. II ne relève d'aucun seigneur. (54) Toutefois il est soumis «normalement à tous les droits hautains et à toutes les charges qui résultent de sa condition personnelle. Si nous rencontrons des alleutiers munis du droit de justice hautaine, nous devons en conclure qu'ils l'ont usurpé ou se sont fait concider ce droit essentiellement regalien ». (55)

Si les alleutiers sont très souvent appelés «hommes libres», par opposition aux vassaux qui possedaient des terres à titre de fiefs, ils ne tarderont pas à être transformès en vassaux à leur tour. Parmi les causes de cette evolution figurent: l'insécurite naissant du désordre et de l'anarchie générale, la faiblesse et l'avilissement de l'autorite royale, le devoir des alleutiers de s'assurer des protecteurs.

M BLOCH, La société; féodale, la formation des liens de dépen-dance, Paris, 1909, pp. 264-265.     Ch. FUNCK, La politique de Jean l'Aveugle, comte de Luxem­bourg, dans T. 11 Hémecht, Zeitschrift für Luxemburger Geschichte, 1953, pp. 82-83.LAVISSE et RAMBAUD Histoire générale des peuples IVe siecle à nos jours, T. II, pp. 50-51,

 La féodalite «entraînant dans son orbite toutes les propriétés et tous les rapports sociaux, fit prévaloir partout, nulle terre sans seigneur». Le mot «alleu» se conserva pour désigner, non plus un alleu veritable, mais un fief affranchi, par le seigneur, des devoirs féodaux et des droits censuels.

Pour cette raison, alleu se transforma en franc-alleu. On distingua de bonne heure le franc-alleu noble qui avait justice, censive et fief mouvant de lui et le franc-alleu roturier qui n'avait ni justice annexee, ni censive, ni fief dépendant de lui.

Remarquons enfin que le mode normal de la possession jusqu'au IXe siècle avait été l'alleu, la pleine propriété, sans aucune charge et avec droit absolu d'aliéner. (56)

Mais à l'époque du morcellement féodal, les propriétaires distribuent leurs terres en tenures à des paysans, en fiefs à des chevaliers. Il y a ainsi trois modes de possession: l'alleu, le fief (usufruit à charge de service noble) et la tenure (censive, vilainage ou usufruit à charge de redevances). Suivant la coutume du Moyen Age, ces possessions deviennent héréditaires. La qualité du possesseur finit par se fixer sur la terre, si bien que chaque terre prend une qualité indélébile qui s'impose aux nouveaux possesseurs. (57)

Avant le 12e siecle et jusqu'au début du 13e, les alleux appar-tiennent surtout à des nobles ou à des grands propriétaires libres. Quant au grand nombre d'alleux existant à la fin du Moyen Age, ce sont des alleux paysans, que certains auteurs considèrent comme les survivants et les témoins du systeme de propriété franc. Cette theorie, observe M. Genicot, est «erronée quand elle affirme la pré-dominance, sous les Francs, de la petite propriété libre sur le grand domaine, mais elle contient peut-être, sur d'autres points, quelque parcelle de vérité ». En ce qui concerne le Namurois, dit-il, c'est dans le Nord-Est que les alleux paysans sont les plus nombreux, c'est-à-dire dans une region où les toponymes germaniques, Marche, Waret, (Marche-les-Dames, Marchovelette. Waret-la-Chaussee, Franc-Waret, Petit-Waret, Waret l'évèque, Ville-en-Waret) attestent l'importance et la persistance de l'occupation franque. L'abondance des alleux dans le baillage de Wasseige est demontrée par le dénombrement de 1545. C'est là aussi (détail qui revêt pour notre étude une grande importance) qu'un village porte le nom évocateur de Noville-les-Francs-hommes et que deux autres possedent en 1274 et 1283 des bois en franc-alleu. (58)

Avant le 13e siècle, l'alleutier dispose librement de son bien. Il peut l'aliéner sans le consentement d'un seigneur. Mais, au cours de ce siécle, sa position est attaquée. Après la phase du morcellement féodal survint celle du remembrement, de la centralisation, entrepris par les comtes et les princes. C'est l'époque de la formation des principautés. Dans l'organ- isation féodale du moment, l'alleutier et sa terre constituent une anomalie, une... monstruosité que les hauts-justiciers, et surtout le comte, s'emploient à faire disparaître. Les premiers prétendent recevoir à leurs cours tous les actes interessant les alleux enclaves dans leurs seigneuries. Le se­cond se fonde sur sa qualité de prince territorial, de detenteur de la puissance publique, sans doute aussi de successeur carolingien et cherche, pour sa part à s'assurer la juridiction gracieuse et contentieuse sur tous les alleux du comte. (59) Cette politique aura des fortunes diverses. En 1273, les alleutiers de Guyenne déclarent ne rien devoir à personne et n'avoir pas à répondre aux questions du duc qui avait ordonné un recensement. (60)

Au 13e siecle, les châteaux élèves sur les terres allodiales du pays hennuyer sont peu à peu réduits, par les comtes de Hainaut ou de Flandre à la condition de fiefs. (61)

Vers 1240, les cours allodiales commencent à fonctionner dans le Namurois et sont présidées par les baillis et les maires du comte. Avant 1300, tous les alleux de ce pays, possédés par des seigneurs, sont tombes dans la mouvance du comte. (62)

On constate le même phénomène en ce qui concerne le Luxem­bourg. La charte de 1228 ne qualifie-t-elle pas de fiefs les propriétes des francs-hommes? (63)

De son côté, la coutume de Luxembourg distingue les « francqz alloeuds, », auxquels appartient justice ou censive, ceux-ci se réglant comme les fiefs et les biens nobles, et les francqz alloeuds n'ayant fiefs mouvant d'eux, justice ou censive et qui se réglent comme bien bourgeois et roturiers. (64)

GENICOT, LWonomie rurale namuroise au bas Moyen Age (1199-1429), dans, A.S.A.N., 1943, pp. 72 et suiv. (publication extraordi-naire).

 Lorsque Jean 1'Aveugle confirme les privilèges de Bastogne en 1332, il reconnait expressiment ceux de l'ancienne justice de la Saule, tribunal dont faisaient partie les nobles et les francs-hommes. (65)

La lutte contre les alleux luxembourgeois est entamée au moins depuis le début du 13e siede. Ainsi, en 1208, Theodebald, comte de Bar et Luxembourg rend un fiefs à Nicolas de Han les alleux formes par le «castellum de Hans» et celui de Bazeilles.

En 1220, le comte Henri de Vianden donne à l'Eglise de Co­logne son alleu de Han qui lui est restitué en fief. Parmi les signataires de l'acte figurent: Hermannus Marscalcus, Theodoricus dapifer, Godefridus Camerarius... c'est-à-dire des ministeriales!

En 1223, Waleran et Ermesinde de Luxembourg tiennent en fief tout l'alleu de Durbuy. En 1225, Waleran ratifie la donation des alleux des ministeriales à l'Eglise. (66)

Toutefois, la politique dirigée contre les alleux atteignit son apogée sous Jean l'Aveugle, roi de Bohême et comte de Luxem­bourg. Il est impossible ici, de signaler tour les alleux qui rentrerent dans la mouvance de ce prince au début du 14e siecle.

Qu'il nous suffise de faire observer que ce prince parvint, dans la plupart des cas, à se faire rendre hommage par les alleutiers, moyennant finances. (67)

Notons encore que dans le Luxembourg, la conversion des al-leux en fiefs s'est terminee, non pas avant 1300, mais bien après.

Quelle fut la consequence de cette politique?

De toute façon, fait remarquer M. Ginkot, ce n'était pas, pour les alleutiers, un signe de sujétion que d'être tenus de porter leurs procès immobiliers devant le comte, son bailli ou un vassal dû-ment autorisé. En cas de relief, l'obligation de passer devant un personnage officiel, assurait la possession paisible au preneur, lui garantissait un titre juridique écrit et le prémunissait contre les revendications des tiers. Toutefois, en entrant dans l'ordre féodal, les alleutiers subissaient un abrègement de leur liberte. (68) Celui-ci ne consistait-il pas tout naturellement en l'obligation, pour l'alleutier, d'accomplir le service militaire au benifice du prince?

J. LECLERCQ, op. cit., T. II, p. 12, art. 21.

Il est vrai que cette coutume se rapporte surtout au 17e sibele, c'est-à-dire à un moment où les alloeuds avaient subi de profondes transformations.

 Jamais, par contre, les alleux ne cesserent de se partager entre tous les ayants-droit de même rang sans distinction de sexe.

Malgré cela, beaucoup de beaux domaines des nobiles ont été, par suite des principes du droit romain, divisés en une poussiere d'alleux tenus par des «hommes de loy, des bourgeois ou des manants». Depuis le milieu du XIe siecle, le terme alleu désigne un bien de plus en plus petit. Aux XIIe et XIIIe siecles, les plus grands d'entre eux ont comme propriétaires des nobles. On peut ainsi les qualifier d'alleux seigneuriaux. (69) Dans le Namurois, au début du XIVe siècle, les alleux ne comprennent plus que des terres d'étendue restreinte et n'appartiennent plus aux nobles. Ils sont aux mains «d'hommes de loy, de citadins ou de paysans». (70)

Concernant révolution des alleux namurois, M. Genicot constate ce qui suit: « raréfaction des alleux seigneuriaux, apparition ou du moins, multiplication des alleux paysans sont deux phènoménes concomitants. Parmi les enfants d'un seigneur, la plupart des cadets évincés par les aînés ou filles par les garons n'héritent pas des fiefs mais seulement des alleux. Lots souvent médiocres qui à leur tour seront divisés entre leurs propres enfants. Aussi, eux-mêmes et leurs descendants immediats renoncent-ils au coûteux métier des armes et à la noblesse. Satisfaits de leur situation d'hommes de loy qui leur assure tous les privilèges de la noblesse, ils se consacrent à la mise en valeur de leurs terres. Juridiquement distincts des manants, ils s'en differencient par la liberte et retendue de leurs biens. Ils forment une classe moyenne de gens labourans. En cas de nouveaux partages, ils n'ont plus que quelques bonniers d´alleux et doivent où prendre en accense et à bail les terres d´autrui où adopter une autre profession et ne plus faire de la culture qu'un appoint. Le fossé ne cesse de se creuser entre eux et l'aristocratie jusqu'aux jours où l'extinction de leurs privilèges juridiques et fiscaux les rejettera définitivement dans la roture. La plupart de ces alleux qui appartenaient à des non-nobles sont donc issus du démembrement de grands domaines ». (71)

GENICOT, op. cit., p. 73.

  1. B. — Hommes de loy: descendants de chevaliers qui ont renoncé à la noblesse ou n'y ont pas accès parce qu'ils se sont «mésalliez». Ils jouissent des privilèges judiciaires et fiscaux des nobles mais par leur genre de vie s'apparentent à la paysannerie dont ils partagent les travaux.

Nombreux dans le Namurois, les alleutiers ne le furent pas moins dans le Luxembourg.

Aux XIIe et XIIIe siecles, à côté des alleux seigneuriaux, existent ceux des ministeriales et ceux des hommes libres. Les alleux seigneuriaux, d'étendue considerable sont de plus en plus fré-quemment convertis en fiefs. (72) Aux siécles suivants, nous ren-controns encore la mention des alleux seigneuriaux, mais celle des alleux d'étendue restreinte (comme dans le Namurois) se fait de plus en plus rare. Auraient-ils completement disparu? Ce n'est pas notre avis. On peut en effet être persuadé que les alleutiers luxembourgeois sont les francs-hommes. Voici d'ailleurs comment an peut le demontrer.

 Les «gentilzhommes» ou nobles sont jugés par les cours féodales. Ils sont liés à leurs suzerains par le contrat féodal et doivent le service militaire à cheval même en dehors du territoire qu'ils habitent.

II est à peine besoin de dire qu'ils sont astreints en outre à l'aide pécuniaire dans certains cas fixés par la coutume. Par exemple lorsque le suzerain est fait prisonnier, quand il part pour la croisade, lorsqu'il marie sa fille aînée ou que son fils aînée est créé chevalier. (73)

Les francs-hommes font aussi partie des cours feodales (comme les alleutiers du Namurois). Il est vraisemblable qu'avant le début du 13e siécle, ils composaient les cours allodiales et en dépendaient. Toujours est-il qu'avant Jean l'Aveugle déjà les francs-hommes du pays de Bastogne siègent aux côtés des nobles de la Salle et conservent ce privilège jusqu'en 1579. (74) Comment expliguer ce droit de justice appartenant aux francs-hommes? Ce droit qui, en principe, n'appartenait qu'aux nobles et aux alleutiers? (75) Il faut bien admettre que les francs-hommes étaient soit nobles, soit alleutiers, (gens de loy dans le comte de Namur). Les francs-hommes doivent en outre (comme les nobles encore et les allentiers depuis le 13e siècle) le service militaire à cheval même en dehors de leur territoire. (76)

GENICOT, op. cit., pp. 75-78.

 Comme les nobles et les alleutiers, ils sont exempts de cens de rente, de la taille, des corvées et de toutes prestations feodales. Ils ne sont pas possesseurs, mais propriétaires de leurs terres. Et leur propriété passe non seulement de père en fils, mais se divise entre les descendants mâles, comme celles des alleutiers. (78)

Neanmoins, la coutume de Bastogne y apporte une reserve: «selon usance de la Salle, les gentilshommes et les francqz hommes constant leur mariage peuvent marier leurs filles en somme de denier, et garder les héritaiges pour les hoirs masles, faire renoncer et quitter les dites filles sur les héritaiges paternelz et maternelz, et depuis ny peuvent retourner ny requerir portion ». (79)

Malgré cette précaution destinée à garder intact le patrimoine, les propriétés des francs-hommes ne cessent de diminuer, à tel point qu'il arrivera un moment où elles ne permettront plus d'entretenir «cheval et armes pour le service militaire». Si les francs-hommes prétendent toujours être en ordre, lors des «monstres» annuelles, ils se présentent neanmoins... à pied, ce qui est formellement interdit par leurs statuts. De plus, ils seront bientôt réduit à cultiver des terres louées à d'autres ou bien à exercer un métier, malgré la defense expresse du reglement. Arrivés à ce point de déchéance, ils ne peuvent plus espèrer obtenir en mariage que des filles de bour­geois, voire de serfs. (80)

L'évolution des francs-hommes luxembourgeois est parallelé et identique à celle des alleutiers du pays de Namur.

Ils apparaissent au moment où la politique de conversion des alleux en fiefs voit le jour et ils sont astreints au service militaire pour remplacer les nobles qui font défection parfois en masse. (81) Par la suite, leurs propriétés se divisant de plus en plus, ils n'ont plus le moyen d'accomplir le service à cheval et renoncent à celui-ci et par conséquent à la noblesse. Ils s'occupent de la culture de leurs terres, tout en profitant des autres privileges de la noblesse (priviléges judiciaires et fiscaux). Mais leurs terres se morcelant sans cesse, ils sont reduits à cultiver des terres d'autrui ou à exercer un métier. Ils sont ainsi rejetés dans la roture

(78 A. E. ARLON, F. Conseil de Luxembourg; L. Les francs-hommes. Lettre du 25 mars 1655; et A.I.A.L., T. XVI, pp. 320-343.

L'immunité de l'alleutier provient de la terre sur laquelle il a un droit de propriété (jus utendi, jus fruendi et jus abutendi). Seulement, les francs-hommes sont-ils eux aussi, proprietaires? Ont-ils ces droits d'user, de bénéfier et de disposer à leur gré de leur terre? C'est un fait absolument certain.

En 1270, par l'acte l'affranchissement de Virton à la loi de Beaumont, Louis V, comte de Chiny, donne, pour fonder la ville «la banlieue de Virton... hormis les propriétés de la Sainte Eglise et des francs-hommes ».

Un acte semblable, datant de 1264 et relatif à Signy, Vaux et Montlibert, déclare ne pas toucher aux proprietes que «les francs-hommes ont ». (83)

D'autre part, comme le firent les alleutiers de Guyenne en 1273, de nombreux francs-hommes refusent, en 1599 et 1611, de déclarer leurs biens aux enquêteurs, sous pretexte que ces biens sont « francqz, comme provenant de leurs ancestres». (84) Sur ce point, le « Denombrement des maîtres de forges et des francs-hommes de la prévôté d'Arlon en 1656 » publie par M. J. Vannerus, nous donne des indications concordant avec les conclusions tirées des documents relatifs à la prévôté de Bastogne. (85)

Avec un ensemble frappant, tous refusent catégoriquement de déclarer leurs «biens et meuble », parce que ce sont des biens pro-venant « de leurs père et mére et estant du bien franque». (86) Ici, les francs-hommes refusent purement et simplement de décla­rer leurs biens meubles et immeubles, là, ils s'obstinent parce que ces biens sont francs. Les deux cas prouvent suffisamment que ces biens ne dépendent de personne, que ce sont des biens libres, des biens au sujet desquels les francs-hommes ne doivent aucune redevance.

  1. Les Francs-hommes. Enguetes de 1599 et 1611.

85) A.I.A.L. T. XLVI (1911), pp. 320-343 et pp. 328, n° 23 et p. 331 n° 42

(86) A.I.A.L. T. XLVI (1911), p. 325, n°5; p. 333, n° 53; p. 338 na 69, et A.E.A. F. Conseil de Luxembourg; L. Les francs-hommes; Mairie de Louville (proès-verbal de 1598),

Ces textes démontrent que les priviléges des francs-hommes tiennent en ordre principal à la franchise de leur bien. Ceci est con­firmé par le fait que ceux qui refusent de déclarer leurs biens ne sont sujets à aucune sanction alors que le noble encourt une amende de six florins d'or et est taxe d'office. (87)

Les francs-hommes ont le même droit de propriété que les alleutiers et en fait, leurs terres échappent au lien féodal. Ce sont des terres ne relevant de personne, et c'est d'elles seules que dependent les privilèges des francs-hommes. C'est tellement vrai que lorsque leurs propriétés terriennes ne leur permettront plus d'entretenir «cheval et armes», ils seront rejetes dans la classe des taillables, c'est-à-dire dans la roture.

D'autre part, la coutume de Luxembourg, concernant les «biens féadaux et francqz alloeux» s'exprime ainsi: «afin que les filles ne héritent, pour le maintenement et conservation des maison et famille en cestuy pays duché de Luxembourg, elles ne succederont en ligne directe en biens féodaux ny en nobles francqz alloeux ou il y a hoirs masles au temps d'eschéance de la plaine propriété ». (88)

L'article 36 de la coutume de Bastogne dit, de son côté «les gentils hommes et francz hommes peuvent marier leurs filles en somme de deniers et garder les héritaiges pour les hoirs masles ».

Si l'on admet que les biens des gentilshommes sont des biens féodaux à qui attribuerait-on les alleux,... sinon aux francs-hommes. L'alleu est reservé aux héritiers masles. Les biens des francs-hommes le sont aussi. (89) La coutume de Bastogne exprime en termes differents, la réserve faite par la coutume de Luxem­bourg.

Faut-il rappeler que dans le baillage de Wasseige (province de Namur), où les alleux pullulaient, un village porte le nom de Noville-les-francs-hommes?

De là à attribuer les alleux aux francs-hommes, il n'y a qu'un pas. (90)

En 1613, lorsque Gille Bouvet, conseiller et receveur général des aides «du pays et duché de Luxembourg et comté de Chiny»,

 A.I.A.L. T. XLVI (1911), p. 324, na 2.

 est chargé d'une enquéte dans les prévôtés de Bastogne, La Roche,Durbuy, etc., il constate qu'à La Roche il y a trois sortes d'habitants: les francs bourgeois, les taillables et les hommes monsieur(serfs). Il convoque ensuite, en vue d'inspection, les «16 allodiaux du comté de La Roche que leurs A. A. ont maintenu en leurs exemptions comme autres francqz hommes de la prévôté de Bastoigne parmi la même obligation d'entretenir chevaux et ar­mes ainsi que de s'armer de telle sorte que leur seroit prescript par le prévôt.» (91)

Il serait difficile de trouver un texte prouvant d'une manière plus explicite, l'origine «allodiale» des francs-hommes. Les allodiaux de La Roche sont donc des francs-hommes, c'est certain.

Dans le but de justifier davantage cette conviction, voici le «rolle des francqz hommes se disans féodaux et allodiaux du comté de La Roche, prins à monstre le 30 juin 1613». (92) Vis-à-vis de cette liste, le lecteur trouvera les noms de ceux qui avaient cette qualité en 1654.

Rolle des francqz hommes se disans Modaux et allodiaux du cormté de La Roche.

 1613

1.Pierre Herbey

2.Robert Huart

3.Guillaume d'Ortheville

  1. Pierre Jean Colta
  2. Godfrin de Secher, maire de Bérismerille
  3. Gregoire de Welreux(Engreux)
  4. Orban Hennet
  5. Jean Duchemin de Nadrin, Maire de Engreux
  6. Jean de Roumont

10.Henri Mabouge (Nisramont)

  1. Henri Moirmont
  2. Jehan le Chanron
  3. Jehan Corbel de Roupaige
  4. Jean Gilet du dit Roupaige
  5. Jean Lowy de Loupoigne

      1654

1.Jean Huart de Moireville a épousé la dernière héritiére

2.Le dit Jean Huart

  1. Jean Moncousin, d´Ortho
  2. Jean Collas, son fils, simple franc-homme sans fiefs
  3. Jean Lambert de Bérismenil
  4. Tout est mort et le fief vacant
  5. Jean d´Umesnil mayeur de La Roche
  6. Vacant, le fief n´estant desservi depuis longtemps
  7. Vacant
  8. Son fils Henri Mabouge
  9. Gérard de Moirmont, son fils
  10. Henri de monhirival
  11. Jean Rondu marié à la fille veuve de Roumont franc-bourgois de La Roche

14.Sa race est faillie

15.Sa race est faillie

 Les Nr. des familles de 1613 correspondes a ceux de 1654

 Autres hommes de fiefs.

Pierre Dupont, Jehan Baclin d'Ortho, Tobie de Herlanval condamné à contribuer; Olivier de Vilers, Jehan de Hosseuse, Jehan de Cielle, Warnand de Jupille, Henry de Hamtey (Hampteau).

Comme les francs-hommes de la prévôté de Bastogne, les «francqz hommes se disans féodaux et allodiaux du comte de La Roche» sont obliges «de tenir chevaux et armes en bon esquipage pour se trouver en notre service toutes et quantte fois qu'il en sera requis et mandé par notre prévôt de La Roche, aussi, de passer monstre à tout le moins une fois l'an». En échange de ce service, ils etaient «francqz et exempts de tailles, aydes, etc... ». Leur terre est franche. C'est bien cela, d'ailleurs, qui est confirmé le 7 mars 1571 par Lambert de Berismenil qui déclare «tenir en franc aleu pour le service d'armes et de chevaux, sa maison, assise, etc... ». L' alleu de Lambert, qui est franc-homme, doit permettre de faire face aux frais exigés par le service militaire. Qu'il s'avise, par exemple, de se présenter aux «monstres» en «mauvais esquipache» et il perd ses privilèges. (93 )

Il n'est pas possible de nier l'identité entre les francs-hommes et les alleutiers. Cette identité est révélée par la même obligation (service militaire à cheval), les mêmes exemptions (cens, rentes, corvées) une évolution analogue (par suite du morcellement continuel du patrimoine, les uns et les autres n'ont plus suffisamment de ressources pour honorer leur devoir principal: le service militaire).

Les alleutiers comme les francs-hommes sont propriétaires. Dans les deux cas, le patrimoine se divise par parts égales entre les enfants. Les réserves faites à ce sujet par la coutume sont «récentes». Dans les deux cas encore, le lien féodal est inexistant.

Enfin, des textes prouvent d'une maniere explicite l'identité des francs-hommes et des alleutiers.

Dans le Namurois, Noville-les-francs-hommes est située dans une region où les alleux sont très nombreux. La coutume de Lu­xembourg permet de doter les filles en argent, afin de laisser intacts les biens féodaux et les nobles franqz-alloeux». En vertu de la coutume de Bastogne les «gentilshommes et les francs-hommes» peuvent agir de la sorte. D'où il appert que les biens féodaux appartiennent aux nobles, les francs-alleux aux francs-hommes. Enfin, les 16 «allodiaux» de La Roche sont exempts, com­me les autres francs-hommes de la prévôté de Bastogne et doivent, comme eux entretenir chevaux et armes pour le service militaire.

 (93) A. DE LEUZE, Franc-alleu de Berismenil, op. cit., pp. 68 et suiv.

 Les plus anciens des francs-hommes sont des alleutiens. Ceux-ci sont issus de la noblesse dont ils ont, à peu de chose près, les mêmes privilèges. En vertu de la coutume féodale, en effet, parmi les enfants d'un seigneur, la plupart des cadets evinces par les aines n'héritent pas des fiefs mais seulement des alleux. Lots qui seront dans la suite divisés entre les enfants. (94) Ce qui explique la prétention de certains francs-hommes de «vivre noblement» ou de «descendre de la noblesse».

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