Les privilèges et les obligations des francs-hommes

Publié par Arno Bourggraff. Publié dans Francs-hommes

Les francs-hommes forment donc, et cela de la fin du 12e à la fin du 17e siécle, une classe sociale nettement distincte des autres. II importe, dès lors, de savoir en quoi consistent leurs droits et leurs devoirs.

Les plus anciens textes qui les mentionnent, nous les présentent comme propriétaires: «hormis les propriétés de la Sainte Eglise et de nos francs-hommes» (95) et parfois comme possesseurs de fiefs «les fiefs de nos chevaliers et de nos francs-hommes». (96) A ce moment céjà leur obligation principale est le service militaire. C'est ce qui ressort de la charte octroyée en 1229 par Henri, comte de Bar. (97)

Une autre constatation: il y a des francs-hommes d'Eglise. Enfin, les propriétés libres des francs-hommes sont en dehors des franchises, mais comprises dans le domaine du comte. (98) Cette remarque vaut d'ailleurs pour les hommes de la Salle de Bastogne. Par l'acte «d'affranchissement» de 1332, Jean I'Aveugle accorde à cette ville la même franchise de bourgeoisie que «celle que La Roche a, et a eu ensiennement jusques a or hors mise et exceptée notre maison de Bastoigne que on dit la Saule». (99)

Les privilèges des francs-hommes sont confirmés en 1378 par Wenceslas, en 1411 par Antoine de Bourgogne en Elisabeth Göerlitz, en 1439 par Elisabeth Göerlitz encore.

Cette derniere confirmation précise les privilèges en question. Il y est dit: «Ces hommes appellez sergens que doyent d'ancienneteit service d'armez et chevals, à nous, dont ils avaient j'ay paravant lettres scellées, franchise et liberté de nos prédécesseurs le roi Jean de Bohême, comte de Luxembourg, Wencelas, duc de Brabant et de Luxem- bourg, de Anthons duc de Brabant et de nous, (Elisabeth

Göerlitz) les dits sergens à chevals étoient quietez de toutes priers, tailleis, corweis, bueff, mottens et de touts autre souagh, réservé le service que doient par ce faire à nous, ou a nous heurs de leurs corps, monteis à chevals et arrneis un chacun d'eux raisonnablement, selon leurs puissances et par le waieth de notre feaulteit... et quante fois que besoing serat à nous et a nous heurs... et aussi nous les devrons delivreis... faisant le dit service pareillement comme à aultres nous serviteurs... et ne polons ne devons les dits sergens wagier ne pannier pour debte que ils doyent par prise de leurs chevals, ne quant attelie son que notre service que faire nous doyent en notre besoing n'en soit point en frans ne elargies dont les dits sergens ont eu bonne lettres scellies de nos prédécesseurs, lesquelles lettres ont été arsé en une forte maison à Lymerley avecque XIIII de nos gentilshommes et sergens pour faits de guerre que notre bien aimés duc Anthon avait à l'encontre d'une des parties de notre chevallerie de notre dit duché de Luxembourg.» (100 )

Il resulte de ce document que les frans-hommes «servent cheval». D'autre part, ils doivent être armes raison-nablement et répondre au premier appel du comte. Celui-ci s'engage les délivrer quand ils sont faits prisonniérs et à ne saisir ni leur cheval ni... leur personne, en cas de dette. L'accomplissement du service militaire donné aux francs-hommes, une situation privilégiée. Ils sont exempts de prières (emprunts), tailles, corvies, impositions en nature.

Les textes du 16e siecle font connaitre d'autres détails concernant leurs statuts. C'est ainsi qu'ils «sont tenus, de toutte anciennete avoir chevaulx et armes pour servir [le prince] ... et mesme aussy d'assister aux recepveur général des aydes audit pays, quant il y en a et à ses commis pour le mouvement d'icelle sur tous contredisans et rebelles.

(100) A. NEYEN, op. cit., p. 293.

 Cette ordonnance de Philippe II, corrobore le règlement de1522, prévoyant qu'ils étaient astreints à la défense du pays et à »faire les contraintes contre les désobéissants à payer l'ayde». (101)

Un acte du 2 octobre 1600, relatif à la confirmation des pri-viléges des francs-hommes de Rondu, fait état d'un document de 1531 suivant lequel les «francs sergens de ce ban sont exemptz de toutes tailles, prieres, cruwées et de logis, à quoi sont tenuz... aultres subgets du plat pays de la prévôsté de Bastoigne». Le tex­te du 2 octobre 1600 est à peu près identique. Les francs-hommes sont «francqz et exemptz de toute demandes, impositions, tailles, prières, coruwées et logement de gens de guerre». (102)

En 1548, la gouvernante des Pays-Bas constate que «les francs-hommes jusque là tenus d'entretenir chevaux et harnais avaient été exemptes de tous droits, cens, rentes et tailles». Ne pouvant tirer profit de leur service (par suite de la diminution de leurs ressources) Charles-Quint propose de les remettre «à condition des hommes baptez (serfs) de la prévôste de Bastogne, lesquels doivent annuellement sept pattars et un muids de grain». (103) Cette mesure prouve que l'empereur avait un urgent besoin de soldats et d'argent, mais elle laisse en outre apparaitre, chez les francs-hommes, une situation financiere de plus en plus précaire. Ils sont, par là dans l'impossibilité de continuer à entretenir «cheval et ar­mes pour le service militaire». Beaucoup sont condamnés, des lors à la roture.

La restriction de leurs privilèges ne cesse d'ailleurs de s'accentuer. En 1611, les francs-hommes sont déchargés du service militaire à cheval et doivent, en échange, contribuer aux «aydes du dit pays, comme non fancqz, exception faite pour ceux d'entre eux qui sont descendus d'ancienne noblesse et vivent noblement, lesquels jouiront de l'exemption qui appartient aux nobles». Mais ceux qui insisteroient de jouir de leurs dites franchises et exemptions devront entretenir cheval et armes suffisans pour le service militaire, se trouver aux monstres toutesfois et quantes qu'il sera ordonne de faire le service quand les princes le trouveront convenir et ne pourront faire partie des compagnies d'ordonnances». (104) Selon la coutume de Bastogne «les gentilshommes et francs hommes étaient tenus d'avoir chevals et harnois pour servir Sa Majesté im­periale, à tels gages comme autres soldoyers de Sa Majestà. »

E.A. Recorts et autres titres de la prévôté de Bastogne. Avis du Conseil 1654-1675. Lettre de Philippe II (3 avril 1584); et G. DONY, op. cit., pp. 89-90.

104) A. NEYEN, op. cit., pp. 129-130 et A.E.A. F. Conseil de Luxem­bourg L. Les francs-hommes. Enquete de 1611

(105) De son côté, l'archiduc Ferdinand, par ordonnance du 22 janvier 1636, fixe la solde des francs-hommes: «le capitaine et son paige, 275 florins et 20 pattards monnoye de Brabant; à deux lieutenants et leurs paiges chacun 125 florins; à deux trompettes, un fourrier et un marichal, 22 florins 12 pattards 1/2 chacun; au chapelain, 30 florins par mois et à chacun des francs-hommes, 15 pattards par jour et ils auront le logis et le lict avec l'éstable pour leurs chevaulx. (106)

Au temps où Colpach (Pierre-Ernest de Bergh) devint capitaine — de 1633 à 1655 — ils furent assimilis aux soldats et bénéficierent, en theorie du moins, du «pain de munition», et de l'impunite «afferente aux actes des militaires». Ils furent, momentanément «distraits de la justice civile appartenante au Conseil de Luxembourg». Pour compléter le dossier, citons encore cet extrait d'une lettre de Henry Jean Thomas de Longlier, lequel déclarait en 1658: «De temps immémorial, les francs-hommes sont estés exempts des aydes et aultres charges extraordinaires, signament des logements et traictements des soldatz, placquilles, fourrages et services» et il ajoute que «ces charges qu'on donne aujourd'hui ont succidé en lieu et en place d'ayde selon qu'at esté souvent jugé par la court aux occurences». (107

 Ces extraits donnent maints détails concernant la condition sociale et économique des francs-hommes. Ils permettent aussi de connaitre leurs droits et leurs devoirs, autrement dit, leurs statuts.

Les plus anciens documents consultés nous apprennent donc que les francs-hommes sont astreints au service militaire à cheval. Si, au cours des siecles, le service à pied apparait parfois, c'est manifestement un fait contraire au réglement. Le service à cheval est accompli au benifice du prince territorial. C'est à sa demande que les francs-hommes sont «sommes» de partir à la guerre. Ils sont d'ailleurs appelés à combattre, aussi bien à l'exterieur du duché qu'à l'interieur. Leur consigne est d'être toujours prêts et «d'avoir bon équipache et armes suffisans». C'est dans le but de vérifier leur armement que le comte a institué les «monstres» (revues) annuelles. A la Suite des ordres du comte (puis duc), les prévôts, ordonnent aux francs-hommes de se présenter avec leur monture au lieu choisi pour la revue. (108)

  1. J. LECLERCQ, op. cit Suppl6ment, p. 19, art, 11.

Après l'inspection, les francs-hommes regagnent leur domicile. Vienne la guerre, ils sont convoqués par le prévôt et doivent se rassembler sous les ordres de leur capitaine au lieu indique. Le capitaine exécute les ordres qui lui sont donnes par le comte (puis duc) et plus tard par le gouverneur du duché. Les francs-hommes ont donc comme mission de défendre leur territoire. Mais ce ne sont pas des soldats comme les autres. C'est ainsi qu'ils ne doivent pas être confondus avec les compagnies d'ordonnance. (109)

Neanmoins, lorsqu'ils partent en expédition, ils touchent un solde. A «tels gages comme autres soldoyers de sa Majeste», est-il dit en 1531. (110) D'autre part, en 1636, le solde du capitaine, des deux lieutenants, des deux trompettes, du fourrier, du maréchal, du chapelain et de chacun des francs-hommes est soigneusement déterminée. Ils ont en outre droit au logement dans un lit et à l'étable pour leurs chevaux. (111)

Comme an s'en rend compte, les francs-hommes forment une unité bien organisée. Celle-ci se limite d'ailleurs à une compagnie de 350 hommes. Sous aucun prétexte elle ne peut dépasser ce chiffre.

Que dire de leur costume, sinon qu'il est l'uniforme de guerre de la petite noblesse. Mais ce n'est pas un costume uniforme car au début du 17e siede, Bouvet propose de munir les francs-hommes d'une «casaque de même couleur et de leur donner de bonnes arquebuses».

Les francs-hommes avaient une autre obligation découlant de leur qualite de «soldats». Ils étaient astreints à un service de gendarmerie pour prêter main forte aux percepteurs de l'aide. Autrement dit, ils devaient aider les receveurs de contribution dans leur mission. Leur rôlle consistait spécialement à faire payer les recalcitrants. C'est pour cela qu'ils étaient parfois appelés «francs-sergens».

En compensation du service militaire à cheval et du service de gendarmerie, les francs-hommes bénéficient d'avantages et d'immunites non négligeables. Ils sont exempts du logement des gens de guerre et des réquisitions qui s'ensuivent. Ni eux, ni leurs chevaux, ni leurs armes ne peuvent être saisis pour dette. Il s'entend ainsi que les créanciers eventuels doivent recuperer leur dù sur les biens particuliers des francs-hommes et non sur ce qui leur est nécessaire à servir le prince. Celui-ci doit s'éfforcer de delivrer, «manu militari» ou pécuniairement les francs-hommes faits prisonniers. En temps de paix, ces derniers ont encore le droit (comme les no­bles) de conduire leurs chevaux de service dans le pâturage du comte. (112)

Outre ces avantages, les francs-hommes sont exempts de prieres (emprunts), tailles, corvies, redevances en nature, placquilles (contributions financières en temps de guerre) traitements des soldats (ravitaillement des troupes). Jusqu'au 16e siècle, du moins, ils ne doivent ni cens, ni rentes. (113)

Nantis de ces privilèges, les francs-hommes doivent respecter scrupuleusement les régles de leur institution. Par exemple ils ne peuvent se «mésallier». Cette exigence exclut donc le mariage soit avec des filles de bourgeois, soit avec des femmes de la classe servile. Ils ne peuvent s'installer dans une autre localité, sous peine de perdre leurs privilèges. Ils doivent servir personnellement. Défense leur est faite d'exercer «art méchanique». Ceci laisse supposer que l'exercice d'un métier dénote une origine, soit bourgeoise, soit ser­vile. Le métier est donc incompatible avec la condition des francs-hommes. (114)

 D'ailleurs, comme les nobles, ils peuvent «marier leurs filles ensomme de deniers» et réserver la propriété immobilière pour les fils. Cette mésure n'était-elle pas de nature à conserver intact le patrimoine? Ce patrimoine qui, dans l'ésprit du législateur de l'époque, devait assurer au proprietaire les moyens d'entretenir bon équipache».

De là à conclure que les francs-hommes étaient des propriétaires terriens, il n'y a qu'un pas. On le franchit d'autant plus facilement que les documents des 12e et 13e siécles les considerent déjà comme propriétaires ou détenteurs de fiefs. Les francs-hommes vivent de leurs terres. Ceci veut dire qu'ils les faisaient exploiter par une main d'oeuvre servile ou bien les cultivaient eux-mêmes. (115)

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